Le 26 avril 1986, la centrale nucléaire de Tchernobyl explosait, et un énorme nuage chargé de particules radioactives commençait son long périple au-dessus de nos têtes gauloises qui n’avaient alors qu’une crainte : que le ciel leur tombe sur la tête.
Aux informations, ils nous avaient affirmé que les douaniers avaient fait le nécessaire, et que le nuage n’avait pas passé la frontière. En Suisse, par contre, ils n’ont tellement pas eu de chance qu’ils se sont rués dans les abris anti-atomiques. Les pauvres. Etre suisse et riche, et être obligé de se terrer comme des rats, si ce n’est pas malheureux. Nous, les hauts savoyards, ça nous aura bien fait marrer. Bien évidemment, ce devait être un peu nerveux, mais bon, reconnaissez qu’il y a de quoi : habiter si près de la zone contaminée et se trouver pourtant totalement hors de risque, ça a de quoi en faire décompenser plus d’un !
Hélas !Le nuage avait réussi à passer la frontière en fraude. Etait-ce dû à un manque d’effectif dans le personnel douanier ? Un manque de vigilance ? Un leurre de la part du nuage ?
Encore aujourd’hui, personne n’ose apporter une réponse claire et objective, comme si une négligence de contrôle à l’entrée des frontières relevait d’un tabou national et inviolable.
Du coup, le Mont-blanc, au lieu de rester blanc comme neige, avait dû se faire le réceptacle de toutes ces saloperies que les russes n’avaient pas réussi à garder chez eux.
En Alsace, ils avaient le même problème :
« Ne mangez plus de champignons, ne mangez plus de salades ! » leur disaient leurs voisins allemands.
Mais le gouvernement français se voulait responsable et rassurant, et montrait que la salade n’avait rien d’indigeste et que personne ne mourrait d’intoxication à cause d’une feuille de scarole ou de laitue.
Ben oui. On vous parlait de radioactivité.
C’est quoi, la radioactivité ?
C’est tout simple. Ce sont des particules qui sont émises par un corps qui a décidé d’en diffuser pendant des dizaines, des centaines, voire des milliers d’années.
La radioactivitéa toujours existé. Les falaises calcaires de la Bretagne sont par exemple beaucoup plus radioactives que les parois abruptes qui mènent au sommet du Mont-blanc … du moins, celui qui existait avant « l’incident » de Tchernobyl !
Parce que, maintenant, évidemment, on n’est plus sûr de rien.
Et comme la radioactivité est un poison à retardement, les conséquences de Tchernobyl vont seulement commencer à se montrer au grand jour à partir de maintenant.
Oh, la surprise !
Grâce aux études faites par des gens sérieux, que nous nommerons « les incorruptibles », nous pouvons désormais bénéficier d’une carte de zones ayant été davantage contaminées que les autres.
Ce sont notamment les zones géographiques ayant reçu de fortes pluies issues du nuage de Tchernobyl.
Dans ma région, pas de risque particulier … si ce n’est du côté de Valence, là où mes parents possédaient une petite bicoque sympathique où nous avions coutume de passer quelques-uns de nos week-ends.
Or, si je me rappelle bien, c’est à cette époque que mes playmobiles, ceux qui montaient sur des chevaux et conduisaient une terrible diligence d’au moins quatre passagers, étaient restés dehors en plein air en attendant notre retour.
Courageux gardiens d’une maison dans laquelle il n’y avait rien à dérober, ils s’étaient donc retrouvés, sans prime de risque ni message de mise en garde, en première ligne de l’offensive tchernobylienne.
Subissant les vents les plus violents et le soleil le plus plombant, la froideur de la nuit et les pisses de chiens, mes playmobiles avaient dû soudain affronter le pire, car le nuage de Tchernobyl, certes aussi puissant qu’une fatalité, mais aussi lâche qu’un faux-cul, avait décidé de s’attaquer aux moins offensifs de mes jouets : ceux qui étaient armés de lances et de fusils, et qui n’avaient ni rayon laser ni missiles légo pour se défendre !
Sans condor ni solaris pour se réfugier, sans temple souterrain ni Esteban pour faire réapparaître le soleil, mes playmobiles avaient pris en pleine tronche une douche traître et généreuse qui les avait imbibés de ses particules contaminées.
L’été suivant, mon frère et moi passions en leur compagnie l’intégralité de nos journées, tandis que ma sœur, plus petite, se contentait de les tripoter du bout des doigts et les lécher.
Notre chien, qui en avait avalé un, mourut quinze jours plus tard de ce que le vétérinaire appela une « mort de vieillesse ».
Mais aujourd’hui, je sais qu’il était le premier d’entre nous à succomber de l’infâme ennemi lâche et traître, que j’ai nommé l’épouvantable nuage de Tchernobyl.
Complément pour les plus curieux :
Aujourd’hui, le sarcophage du réacteur de la centrale de Tchernobyl peut se visiter. Les russes, très portés sur le tourisme et l’architecture, vous en feront faire le tour à l’aide d’un compteur Jaeger, moyennant quelques centaines d’euros.
Là, vous pourrez constater vous-mêmes que la radioactivité, à l’entrée du parc attractif, est encore deux fois supérieure à la norme russe autorisant la construction d’une habitation … et quelques deux cent fois supérieure à proximité du sarcophage du grand pharaon nucléaire.
En ressortant de cette visite peu commune, vos vêtements passeront au détecteur de radioactivité, et à la douche de décontamination si nécessaire.
Les russes vous délivreront sans doute un diplôme de courage, ou peut-être de connerie si la secrétaire le tape un peu vite, car les deux mots russes doivent sûrement se différencier à une ou deux lettres près. Pensez donc bien à vous faire relire et traduire le papier par une personne à jeun et digne de confiance.
Bien sûr, vous n’en saurez toujours pas plus sur la vraie vérité véridique de l’accident de Tchernobyl.
Mais ça, c’est normal.
Car certaines choses doivent demeurer classées « secret défense », et les rumeurs consistant à dire que la centrale était en train d’effectuer des tests de meilleure rentabilité à l’aide d’un plutonium légèrement retravaillé, ces rumeurs là, elles, doivent bien évidemment rester des rumeurs !
Mes playmobiles, en attendant, continuent de reposer dans une grosse boîte en bois rangée dans ma cave, à côté de mes grands vins que je dégusterai en bonne compagnie sans doute dans vingt ans.