• Entretien avec l'auteur Laurent Bettoni

    photo_Laurent BettoniDans le cadre d'une meilleure mise en lumière des auteurs indépendants, je vous propose un entretien avec Laurent Bettoni, auteur confirmé et critique littéraire.

    Et comme je l'ai déjà dit :
    « N'ayons pas peur des auteurs indépendants. Aucun cas de morsure n'a jamais été rapporté jusqu'à présent ! »

    Charlie Bregman 


     

    Peux-tu nous décrire ton univers de lecture, et nous dire à partir de quel âge tu as commencé à ressentir l'envie ou le besoin d'écrire ?

    J’ai aimé lire dès que j’ai su. Tout lire. Des romans (Jules Verne, Alexandre Dumas, Gilbert Cesbron, Robert Sabatier, Maurice Leblanc, Allain et Souvestre), du theâtre (Molière, Shakespeare, Ionesco), des contes et des fables (Perrault, La Fontaine), de la BD (Tintin, Astérix, Babar, Bécassine), des nouvelles (Maupassant, Edgar Poe, Conan Doyle). Et j’ai eu envie d’écrire dès que j’ai su lire. Je voulais moi aussi écrire des histoires comme celles que je lisais. Le livre a toujours exercé une grande fascination sur moi. J’ai compris très jeune que ma vie serait là, dans l’écriture, dans les mots, dans les histoires, ce qui ne m’a pas empêché de suivre un cursus universitaire scientifique. Mais juste pour m’amuser, parce que je trouvais ça intéressant. Les sciences ouvrent incroyablement l’esprit, ce qui est indispensable à l’écriture. Donc sciences et littérature sont complémentaires. Les sciences développent le sens de l’observation. Or, pour écrire, j’observe beaucoup. Je passe mon temps à ça, en fait. Comme si je m’asseyais sur le bord du monde pour le regarder bouger, évoluer ; pour regarder les hommes vivre, aimer souffrir, agir, pour repérer leurs qualités, leurs défauts, leurs travers, pour les regarder apprendre de leurs erreurs ou les répéter inlassablement sans tirer aucun enseignement du passé. Je puise aussi beaucoup dans ma propre expérience, car je suis loin d’être parfait. Je suis mon premier sujet d’observation, et je ne me fais pas de cadeau.

     

    As-tu des thèmes de prédilection et quelles sont tes inspirations ?

    Mes récits, d’une manière ou d’une autre, plongent des personnes ordinaires dans une situation extraordinaire et décrivent la manière dont ces personnes vont tâcher de s’en sortir avec ce qu’elles ont. C’est ce qui me touche, cette lutte pour tendre vers un mieux, avec les moyens du bord. Mes livres évoquent la fragilité des êtres et explorent l’âme humaine, souvent jusque dans ses recoins les plus sombres, où j’aime à penser qu’une part de lumière, aussi faible soit-elle, scintille encore. Mon regard n’exclut donc ni l’humour ni la bienveillance. Loin des clivages entre littérature blanche et littérature noire, je me définis comme un auteur de littérature « grise », qui mêle les genres. Je n’écris pas des choses très consensuelles, ni très lisses, ni politiquement correctes. Et mon style peut choquer, car il m’arrive d’employer un vocabulaire souvent très cru ou argotique. Tout en essayant d’être littéraire, j’aime faire sonner des mots qui n’appartiennent pas à la « belle » littérature. Le but étant qu’une fois assemblés dans le contexte particulier où je les place, ces mots produisent une musique, leur musique, qui s’apparenterait plutôt à du rock qu’à de la musique de chambre. Je suis extrêmement sensible à la musique d’un texte, probablement parce que je compose et écris des chansons. D’ailleurs, je lis mes textes à voix haute, et si quelque chose accroche l’oreille, je le réécris. Enfin, mes livres s’accompagnent toujours d’une bande originale minutieusement choisie, car pour moi elle fait partie du texte et contribue à l’atmosphère, à l’ambiance. J’ai dit que ce que j’écris pouvait choquer, mais je ne choque pas pour le plaisir de choquer. Ce qui m’intéresse, c’est de provoquer une réaction chez le lecteur, fût-elle épidermique. Ça signifiera qu’au moins j’aurais réussi à toucher un point sensible en lui. L’art doit faire réagir celui qui se trouve en face.

    Les auteurs que j’affectionne particulièrement sont Céline, Houellebecq, Djian à ses débuts, Henry Miller, Tennessee Williams, Bret Easton Ellis, Raymond Carver, Chuck Pallahniuk. Et tant d’autres.

     

    Comment procèdes-tu dans ton travail d'écriture ? As-tu des habitudes particulières et as-tu besoin de faire lire tes textes au fur et à mesure ?

    Avant de commencer à écrire la première ligne, je construis d’abord le scénario. De A à Z, avec absolument tout : structure de l’histoire, évolution des nœuds dramatiques, climax, personnages, séquencier. J’ai une culture cinématographique et télévisuelle, j’imagine que ça joue dans ma façon d’écrire et de concevoir la narration. On m’a souvent dit que j’avais une écriture visuelle et qu’on se projetait son petit film en me lisant. Ce que je considère comme un grand compliment. Là où, en France, la pire insulte que certains critiques puissent adresser à un roman c’est : « On dirait un scénario ». Avec ça, il ne faut pas se demander pour quelle raison les lecteurs préfèrent se ruer sur la littérature anglo-saxonne.

    Ensuite, quand mon scénario est validé, ce qui prend plusieurs mois – car je le retourne dans tous les sens pour voir si aucune couture ne craque et que j’essaie toujours de l’optimiser –, je passe à la phase d’écriture. Ce qui prend également plusieurs mois. Durant cette phase d’écriture, j’ai un rythme de bureaucrate et une manière de procéder répétitive et reproductible. J’écris le matin, je laisse décanter, je relis en fin d’après-midi et je corrige. Je progresse ainsi de proche en proche jusqu’à l’achèvement du livre. À la fin de chaque journée d’écriture, j’ai 2 à 3 pages. C’est peu. Mais ce sont 2 à 3 pages publiables. Cela m’évite de revenir sans cesse sur mon travail.

    Ma compagne me relit chapitre après chapitre. Son œil est avisé, et son jugement est sûr et impitoyable. Quand elle pointe un problème du doigt, je commence par râler, par lui reprocher de n’avoir pas compris ce que j’ai voulu dire, par estimer que sa remarque n’a pas d’importance ou qu’elle est simplement hors sujet. Puis j’y repense quelque temps après, et j’en conclus qu’elle a raison. C’est pénible pour moi, mais elle ne s’est jamais trompée une seule fois.

     

    Peux-tu nous parler de ton activité de conseil ?

    Beaucoup de gens portent en eux une ou des histoires et veulent écrire, mais ne savent pas forcément comment procéder. Alors je leur propose en effet un accompagnement littéraire. Je les suis dans l’écriture de leur livre, du début à la fin, je leur donne les règles élémentaires de l’écriture romanesque et leur apprend à les utiliser, à les maîtriser. Certains n’ont besoin que d’une expertise de manuscrit, de corrections ou d’editing. Je propose aussi ces prestations. Le roman d’Agnès Martin-Lugand Les gens heureux lisent et boivent du café est un exemple dans lequel toutes les prestations ont été fournies : expertise du manuscrit suivie de l’accompagnement littéraire, corrections, mise en page, création des couvertures et du texte de 4e de couv., texte de présentation de l’auteur. Nous sommes particulièrement heureux et fiers du résultat. Et on peut le dévoiler, puisque c’est acté à présent, Agnès a été contactée par deux éditeurs et a signé chez l’un d’eux. Je crois que nous allons entendre parler de son roman tout l’été.

    J’ai donné un nom à cette activité d’accompagnement : « Laurent Bettoni – accompagnement littéraire ». Tout simplement. Facile à mémoriser.

    L’adresse : http://laurentbettoni.wix.com/accomp-litteraire

     

    Comment vois-tu l'avenir de la lecture numérique ? Penses-tu qu'il soit compatible avec la lecture sur format papier ?

    L’avenir de la lecture numérique, je le vois florissant. Ce qui ne m’empêchera pas de continuer à lire des livres papier. Ces deux supports de lecture sont complémentaires et d’usages différents. J’aime le livre papier pour son côté charnel et le livre numérique pour son aspect pratique. Et si j’ai aimé un livre numérique, rien ne m’interdit de l’acheter en version brochée pour décorer ma bibliothèque. L’un des développements excitant du numérique est le livre hypermédia, avec insertion dans le texte de vidéo, de son, d’image, d’hypertexte. Avant, il y avait les livres-disques, demain il y aura les livres-films.

    D’autre part, je pense que le numérique permettra l’éclosion de nouveaux auteurs, de nouveaux talents, de nouvelles voix. Des auteurs indépendants émergeront de ces librairies en ligne sur lesquelles ils peuvent proposer leurs textes, même si pour l’instant toutes n’accueillent pas les indés avec le sourire aux lèvres et qu’il est extrêmement difficile de télécharger les textes sur leurs plates-formes. Le courant indé a donné ce qu’il y a de meilleur en musique et dans le cinéma. Pourquoi serait-ce différent en littérature ? Mais pour ça, il faut que les mentalités évoluent. Il faut que les libraires, les journalistes et les critiques s’ouvrent à ce qui se passe ailleurs que dans l’édition traditionnelle et cessent de se pincer le nez quand ils parlent des indés sans en avoir rien lu.

     

    Quels sont tes projets en cours ou futurs ?

    Mes projets, pour l’année 2013, ce sont une série littéraire à paraître en avril, chez La Bourdonnaye, et un roman à paraître vers novembre, chez Don Quichotte éditions.

    La série s’intitule Les Costello, une série mordante. Elle sort exclusivement en numérique, et la longueur de chaque épisode est calibrée pour un temps de lecture de 20 minutes. Idéal dans les transports quand on se rend au boulot. Je m’y amuse à utiliser les codes de séries télé américaines telles que True Blood, Les Soparano, Desperate Housewives, pour mieux les détourner et faire quelque chose à la fois drôle, émouvant et avec du suspense.

    Le roman s’intitule Athus Bayard et les Maîtres du temps, « Penicillium notatum », tome 1, et constitue, si tout se passe bien, le premier tome d’une saga qui en comportera… je ne sais pas. Il s’agit de littérature jeunesse, donc bien moins trash que ce que j’écris habituellement, mais en vérité les adultes pourront y trouver leur bonheur également, car il y a plusieurs niveaux de lecture.

    Voilà pour mes projets dans l’édition traditionnelle.

    Mais j’ai également deux romans à proposer (dont l’un est terminé), et je les présenterai peut-être en indé. Et bien sûr, le prochain roman d’Agnès Martin-Lugand en accompagnement.

    Pour 2014, d’autres romans que j’ai déjà en tête. Et le livre hypermédia, qui m’excite bien. Il faut que j’aille voir ça d’un peu plus près.

     

    1reCouv_Les_Corps_Terrestres

     

    Et maintenant, un petit exercice de style, tu nous racontes ton réveil ce matin ?

    C’était dimanche, et rien ne pressait. Je m’étais couché tard et levé tôt toute cette putain de semaine, qui avait tout de même daigné finir. J’étais crevé. Des tonnes de sommeil en retard. J’ai d’abord senti le chat s’approcher tout doucement. Arrivé à hauteur de mon ventre, il a cardé. Ses griffes ont traversé la couette pour se planter dans ma peau. Puis il s’est étalé de tout sont long, de mon estomac à mon torse. Pratique pour respirer. Là, tandis qu’il m’étouffait, il a ronronné comme un malade. Il était content, le fumier. Content de m’avoir réveillé. J’ai pensé toi, mon pote, tu peux toujours courir pour que je descende te filer du thon. C’est à ce moment que la minette s’est pointée à pas de loup. À pas de loup, pour un chat… Bref, elle s’est lovée contre ma chérie et s’est mise à ronronner en écho à l’autre que j’avais sur le bide. Je me suis dit je m’en fous, je bouge pas. Et j’ai refermé les yeux. Bien m’en a pris, car je me suis rendormi. Et quand je me suis réveillé, les chats avaient quitté la chambre. Ma chérie me regardait, avec son beau sourire de chérie aux lèvres. Elle m’a dit : « Elle bouge, tu veux la toucher ? » J’ai posé ma main sur son bidon et j’ai senti ma fille venir au contact de ma paume, attirée par la chaleur. J’ai souri. Ma chérie m’a demandé si j’étais heureux. J’ai répondu oui avant de lui mordiller les lèvres. Elle m’a dit : « C’est cool, on n’a rien à faire. » J’ai pensé merde, je dois rendre ce truc à Charlie Bregman, ce questionnaire qui se finit par « raconte-moi ton réveil ce matin ». J’ai murmuré : « Ouais, trop cool. » Et j’ai refermé les yeux cinq minutes, avec ma fille qui bougeait sous ma main, dans le ventre de sa mère.

     

    Interview de Laurent Bettoni, réalisée par Charlie Bregman le 03 février 2012.

    En savoir plus ?
    Rdv sur le site de Laurent Bettoni :
    http://cowboysetindies.blogspot.fr/ 

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